Stage 2020 : Modélisation statistique de la répartition des herbiers de zostères
Ce travail de modélisation statistique a permis de préciser les conditions environnementales nécessaires à la présence d'herbiers de zostères naines et de zostères marines et de prédire que les évolutions de ces conditions dues au changement climatique pourraient mener à un déclin massif de la zostère marine. Il a été mené par Romain Mouillard, en stage à l’Ifremer-DYNECO dans le cadre de Marha, sous la direction de Martin Marzloff et Mickaël Vasquez.
Les herbiers marins présentent de fortes valeurs écologiques car ils permettent à une diversité d’espèces de se développer, notamment via (i) une importante production photosynthétique, (ii) l’atténuation des courants et des vagues, et (iii) la provision d’un habitat complexe pouvant abriter des zones de reproduction ou de nourricerie.
Cependant, les herbiers marins sont des habitats côtiers vulnérables, et ont connu un déclin important ces dernières décennies face aux pressions anthropiques croissantes qui s’exercent à la fois à l’échelle locale et globale. A l’échelle mondiale, le déclin des herbiers marins a été quantifié à hauteur de 110 km2 par an depuis 1980, soit une perte totale de 29 % de la surface estimée en 1879. Ce déclin s’accélère avec des taux de perte estimés autour de 1% par an avant 1940, contre 7 % par an depuis 1990. Les principaux facteurs responsables de cette évolution seraient les maladies, le changement climatique, les espèces invasives, les aménagements côtiers, la dégradation de la qualité de l’eau, les pratiques de pêche ou encore la destruction par les ancres et les hélices des bateaux. Le déclin des herbiers marins en France s’inscrit pleinement dans ce contexte mondial de perte en quantité et en qualité des habitats marins côtiers.
Dans ce contexte de dégradation en quantité et en qualité des herbiers marins, il est crucial de bien caractériser leur état écologique et leur répartition spatiale afin de détecter les changements futurs (i.e. perte ou restauration). Ce stage s’inscrit dans les travaux de modélisation mis en place à Ifremer-DYNECO sur les habitats côtiers dans le cadre de l’action A2 du Life Marha. Ce travail visait à appliquer des approches de modélisation statistique pour (1) caractériser la distribution spatiale des herbiers de zostères (zostère marine ou Zostera marina et zostère naine ou Zostera noltei) à l’échelle de la façade Manche-Atlantique, et (2) décrire la niche environnementale des deux espèces. Enfin, (3) les prédictions des modèles ont permis de décrire les impacts potentiels de différents scénarios du changement climatique sur l’habitat potentiel de ces deux espèces.
Des niches environnementales différentes pour Z. noltei et Z. marina
Les prédictions des modèles de type Random Forest qui relient l’occurrence des herbiers aux conditions environnementales côtières (notamment courant, température, vagues, exposition du trait de côte…), renforcent les connaissances actuelles concernant la niche environnementale des deux espèces de zostère et leur distribution le long du littoral métropolitain Atlantique (Fig. 1).
L’habitat potentiel modélisé de Z. noltei correspond à des zones intertidales abritées du vent, des vagues et du courant, peu turbides et saumâtres, correspondant aux baies lumineuses et abritées de la façade Atlantique et de Bretagne Nord.
En revanche, l’habitat potentiel modélisé de Z. marina correspond à des zones côtières abritées, peu turbides et peu eutrophisée (nitrate, phosphate, chlorophylle a) principalement réparties le long du littoral en Bretagne Nord et Bretagne Sud.
Figure 1. Cartographie de l’indice d’habitat potentiel actuel de Z. marina en Bretagne
Les prédictions des modèles pour la période actuelle peuvent fournir des cartographies de référence pour la gestion de ces deux espèces. Si l’excellente capacité explicative et prédictive des modèles a pu être évaluée statistiquement, les prédictions spatiales mériteraient d’être néanmoins validées relativement aux cartographies récentes (non prise en compte dans l’entraînement des modèles) ou aux connaissances expertes.
Un déclin massif de Z. marina dû aux effets du changement climatique
Cette étude met également en avant la vulnérabilité de ces espèces au changement climatique, avec notamment un large déclin prédit pour Z. marina à horizon 2100 le long du littoral, et une disparition le long des côtes du Golfe de Gascogne (Fig. 2). Ces projections à horizon 2050 ou 2100 soulignent la nécessité de mettre en place des mesures de gestion dans les zones les plus sensibles aux changements environnementaux afin de limiter les effets cumulés des changements environnementaux globaux avec les pressions anthropiques locales. |
Figure 2. Conséquences prédites des conséquences du scénario de changement climatique pessimiste dit ‘business-as-usual’ sur la distribution spatiale de l’habitat potentiel de Z. marina. Un déclin surfacique de ~81% par rapport à l’aire de répartition actuelle est prédit à l’échelle de la façade Manche-Atlantique à l’horizon 2100. Les chiffres sur la carte détaillent pour différents tronçons littoraux les changements de couverture surfacique prédits d’ici 2100 relativement à la répartition actuelle. |
Les prédictions présentées en Figure 2 incluent uniquement les effets des projections de changement climatique disponibles à basse résolution et seulement pour quelques facteurs environnementaux. Par ailleurs, ces scénarios ne prennent pas en compte les effets de pressions locales (par exemple : qualité de l’eau, pollution, dragage, mouillage) pour lesquelles aucune donnée n’est disponible à l’échelle de la façade. Afin d’affiner la compréhension de leur écologie, et la prédiction des conséquences biogéographiques du changement climatique, il serait également important de poursuivre ce travail afin de modéliser toute la distribution biogéographique des deux espèces (prenant en compte la totalité de leurs zones de répartition en Europe).
Romain Mouillard, étudiant (bientôt diplômé) d'Agrocampus Ouest-Rennes, parcours Sciences halieutiques et aquacoles (SHA):
« Cette mission m’a permis de collaborer avec les chercheurs du laboratoire LEBCO du centre IFREMER de Brest sur un projet d’ampleur, d’acquérir de nombreuses compétences en acquisition, préparation de données et en modélisation d’habitat, et enfin de gagner en autonomie et maturité scientifique dans un contexte de télétravail. Avoir participé à un projet de protection des habitats naturels marins en France est une fierté personnelle et j’espère que cette expérience sera la première d’une longue liste. »